L’autre jour, en rentrant du collège, ma fille aînée m’a demandé si elle pouvait créer un compte TikTok. À 12 ans, elle m’expliquait que « tout le monde » dans sa classe l’utilisait déjà. Ce moment m’a fait réfléchir profondément à notre rapport aux technologies. Comment protéger nos enfants tout en les préparant au monde numérique qu’ils habiteront? Cette question est devenue encore plus pertinente face aux récentes propositions législatives concernant l’accès des mineurs aux plateformes sociales.
À quoi sert la majorité numérique?
La majorité numérique représente l’âge à partir duquel un jeune peut consentir seul au traitement de ses données personnelles sur internet. Cette notion est fondamentale car elle détermine quand un enfant peut s’inscrire sur un réseau social sans autorisation parentale. Le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) permet aux pays européens de fixer cette limite entre 13 et 16 ans selon leur législation nationale.
En France, la loi Marcangeli du 7 juillet 2023 a établi cette majorité numérique à 15 ans. Concrètement, cela signifie que les jeunes de moins de 15 ans doivent obtenir l’accord de leurs parents pour créer un compte sur les réseaux sociaux. Pour les 13-14 ans, un double consentement est nécessaire – celui du mineur et celui du parent.
Cette réglementation vise à protéger les enfants contre plusieurs dangers bien identifiés: exposition à des contenus inappropriés, cyberharcèlement, impacts négatifs sur la santé mentale, addiction aux écrans, ou encore problèmes de sommeil. Un rapport récent de la fondation KidsRights (juin 2025) alerte d’ailleurs sur une « corrélation inquiétante » entre dégradation de la santé mentale des enfants et utilisation excessive des réseaux sociaux.
Au-delà de la France, un mouvement international se dessine. L’Australie va interdire l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 16 ans, tandis que l’Espagne a présenté un projet similaire en juin 2024. La Norvège et la Grèce envisagent quant à elles une limite à 15 ans. J’ai pu constater lors d’un voyage d’études sur les politiques éducatives numériques que ces pays cherchent tous à concilier protection et autonomisation progressive.
Pourquoi la majorité numérique est-elle difficile à appliquer?
En théorie, les plateformes comme WhatsApp, TikTok, Instagram et Snapchat fixent généralement l’âge minimum d’inscription à 13 ans, conformément à la réglementation américaine COPPA. Mais en réalité, cette limite est largement contournée. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser aux usages numériques de mes filles et de leurs camarades, j’ai été stupéfait par les chiffres.
Selon la CNIL, la première inscription sur un réseau social interviendrait en moyenne vers 8 ans et demi en France. L’association Génération numérique révèle que 63% des mineurs de moins de 13 ans détiennent au moins un compte sur un réseau social. Plus troublant encore, 87% des moins de 13 ans utilisent déjà un réseau social malgré les restrictions officielles.
Ce décalage s’explique simplement: les enfants contournent facilement les restrictions en entrant de fausses dates de naissance lors de l’inscription. Aucun système robuste de vérification de l’âge n’est actuellement déployé à grande échelle, ce qui rend ces règles largement théoriques.
La vérification de l’âge présente d’importants défis techniques. Comment s’assurer de l’identité d’un utilisateur sans porter atteinte à sa vie privée? Si je demande à quel âge les enfants peuvent posséder leur premier smartphone, je dois également m’interroger sur les moyens de contrôler ce qu’ils en font.
Les bénéfices d’une autorisation encadrée et progressive
Plutôt qu’une interdiction stricte, de nombreux experts recommandent une approche progressive et accompagnée. Durant mes années d’enseignement, j’ai observé que les interdictions absolues génèrent souvent des usages clandestins potentiellement plus dangereux. Je crois fermement qu’il est préférable d’apprendre à nos enfants à nager plutôt que d’espérer qu’ils évitent l’eau toute leur vie.
Cette approche progressive peut inclure plusieurs niveaux d’accompagnement: utilisation d’outils de contrôle parental, enseignement des bonnes pratiques de confidentialité, et surtout, création d’un dialogue ouvert avec l’enfant sur son expérience en ligne. Il est essentiel d’encourager l’équilibre entre écran et activités hors ligne.
Les mineurs disposent également de droits spécifiques qu’ils doivent connaître: droit à l’oubli (article 40 de la loi Informatique et Libertés), droit d’accès et de rectification de leurs données personnelles, droit d’opposition à la collecte de données, et protection de leur image contre toute diffusion non autorisée.
Au lieu d’une simple interdiction, la Commission européenne semble privilégier l’imposition d’obligations aux plateformes: systèmes de vérification de l’âge, paramètres de confidentialité par défaut, restriction des contenus inadaptés, et outils de contrôle parental performants. Elle travaille actuellement sur une application de vérification de l’âge destinée à l’ensemble des États membres.
